Chapitre 28 – Paris épiques

Edoyn

Lord Estevan Hawk avait remarqué le talent particulier d’Edoyn et son intérêt pour les bêtes. Lorsque le seigneur le lui avait proposé, Edoyn avait immédiatement accepté de s’occuper des chevaux des Hawk pour le reste du séjour.

Ce qui se serait apparenté pour d’autres à une corvée, s’avérait un réel plaisir pour lui car les chevaux du désert constituaient une race supérieure, distinguée, d’une beauté incomparable. Leur musculature particulièrement dessinée, leur silhouette singulièrement élancée : c’étaient tout simplement les plus splendides coursiers qu’Edoyn ait jamais eu l’occasion d’approcher.

« Mon mari aime beaucoup ces chevaux. »
Lady Prudence Hawk était entrée dans l’écurie presque aussi silencieusement qu’un renard s’introduisant dans un poulailler, mais l’oreille du chasseur l’avait néanmoins détectée : il savait qu’elle était restée plusieurs minutes à l’observer.

« Et j’aime vous voir vous en occuper », confirma-t-elle. « Vous y mettez davantage que de l’attention – du sentiment, presque. »

« Ce sont de très belles bêtes. J’chuis vraiment heureux d’avoir pu en voir avant d’mourir. »

« Avant de mourir ? Voilà qui est bien dramatique ! Tout le monde va-t-il mourir, ici ? », ironisa l’élégante Dornienne.

« La mort nous attend tous, Milady. »

Le visage tanné de Lady Prudence s’assombrît.
« En effet.

Le soleil commence à décliner, et le diner va être servi. L’ambiance n’est plus à la fête, mais enfin, il faut bien manger. Vous n’y allez pas ? »

Edoyn lui répondit avec un sourire en coin.
« Les occasions de manger manqueront pas. Celles de caresser une de ces bêtes se représentera pas de sitôt, par contre. »

Prudence s’approcha, et caressa l’encolure de l’animal.
« Vous avez appris que nous partions, je suppose ? Nous ne sommes restés que trop longtemps à Château-Brillant, et au point où en sont les choses, il nous paraît plus approprié de retourner vers la principauté. »

Edoyn ne répondit pas. Son attention était concentrée sur l’animal qu’il était en train de panser.

« Nous partirons demain matin, au point du jour. C’est ce soir que nous ferons nos aux-revoirs à ceux qui ont été nos amis. Je n’ai pas trouvé Ser Grey, il est sans doute encore dans les cachots avec Lord Alleister. Mais peu importe, car vous serez aussi bien l’homme de la situation. Mon époux a choisi d’offrir à la maison Archelon l’un de ces chevaux. »

Edoyn se tourna à demi pour dévisager la Dornienne. Celle-ci haussa une épaule, comme si ce n’était pas tant que ça.
« Nous voulions remercier Ser Grey pour la qualité de son entourage. Votre septa s’est montrée très prévenante avec notre fils, et nous lui devons qu’il soit déjà remis sur pied. Vous, vous avez pris bien soin de notre écurie. Autant que vous soyez celui qui choisira l’animal, Ser Grey ne pourra que se féliciter de votre choix.
Et qui sait », ajouta-t-elle, « ce présent lui donnera peut-être l’envie de reprendre le projet de Ser Seth là où il l’a abandonné, et de donner naissance à une lignée d’équidés hybride, ici dans le Val. »

Edoyn hocha vivement la tête.
« J’vais faire en sorte qu’il y pense, Milady. »

Lady Prudence avait déjà tourné les talons, certaine de son effet sur lui. Edoyn retourna à ses animaux avec un intérêt encore ravivé : l’une de ces bêtes était désormais la sienne ! Il flatta les unes et les autres avec un large sourire sur le visage, évaluant à présent leurs atouts respectifs. Son expression se figea lorsqu’il découvrit qu’une autre silhouette était également présente dans l’écurie, qu’il n’avait pas entendue approcher. Appuyé contre l’un des larges poteaux de bois, à demi dans l’ombre, l’intrus portait des fourrures grises et blanches par-dessus ses cuirs.

La main d’Edoyn glissa vers le poignard à sa ceinture aussi naturellement que le vent sur la feuille.
« Qui va là ? », gronda-t-il, sa voix descendue instinctivement d’une octave.

L’autre avança la partie supérieure de son corps pour tirer son visage de l’ombre : c’était Logan Snow, le bâtard Nordien. Celui-ci fit claquer sa langue, comme par agacement.
« Ça va, ce n’est que moi. Je préférais éviter que cette grande asperge du sud me voie. Vu que j’ai révélé que sa fille avait la cuisse légère, je ne suis pas tout à fait certain qu’elle me porte dans son cœur. »

Edoyn ne répondit pas.

« Mmm… Tu as gagné le pactole, on dirait ! », reprit Logan en s’avançant vers lui nonchalamment, ses doigts caressant distraitement les flancs écarlates d’un des chevaux de feu. Ses yeux dérivèrent vers ceux d’Edoyn et s’y fixèrent avec une étincelle d’excitation. « Ça te dirait de le doubler ? »

Edoyn avait déjà accepté une fois de parier sur le résultat de l’un des affrontements du tournoi, et le bâtard s’était montré régulier en lui reversant la somme qu’il avait gagnée.

« C’t’animal vaut plus que tout l’or que tu pourrais porter. On en voit jamais si haut sur le continent, et j’aurai jamais d’autre occasion d’en avoir un qui s’rait comme à moi. »

Logan haussa les épaules. « Sauf si tu as les poches pleines d’or et que tu peux t’en acheter d’autres. »

Edoyn lui répondit d’un signe négatif de la tête, lent et explicite.

« Ah, déjà en train de négocier ! », s’amusa l’autre, jovial. « Alors, jouons au moins l’argent dont tu m’as soulagé l’autre jour ! J’avais mal évalué ton maître d’armes… Sa cote est montée d’un coup après sa première joute ! Bah, ça m’apprendra à proposer un pari sur un participant surprise. Mais là il devrait affronter Grey Archelon en demi-finales, et face à son seigneur il va se désister, forcément.
Vu que tout le monde s’est fait sortir du tournoi, on va se retrouver avec une finale opposant Marlon Lockhart à ton héritier. Qu’est-ce que ça t’inspire, toi ? »

« Ça m’inspire qu’il y a plus de tournoi. Alleister ne va pas maintenir ses petites réjouissances alors que la moitié des joutes ont été annulées à cause des événements, et que son invité privilégié vient d’se faire trucider après avoir été accusé de trahison, tu vois ? »

« Mmm », répondit Logan, dubitatif. « Moi ça m’étonnerait que sa seigneurie laisse sa grosse fête se terminer comme ça, sur un drame, après un empilement d’incidents franchement louches. S’il fait ça, sa réputation est faite dans tout le Val, et au-delà.
Tu veux parier qu’il fera quand même disputer une finale ? », relança-t-il avec un sourire ravivé.

« Je parierai rien du tout, j’ai déjà gagné plus que c’que j’pouvais espérer », maintint Edoyn.

« Mmm », admit le Nordien, avant de s’approcher pour reprendre plus bas. « Et est-ce que tu m’aiderais à organiser les paris, alors ? »

Edoyn haussa les sourcils.
« C’est pas franchement ma branche. »

« C’est la branche de qui veut », contra Logan. « Y a toujours des gens qui sont prêts à parier, mais il faut qu’il y ait quelqu’un qui leur propose combien, et pour quoi. »

« Et pourquoi est-ce que t’aurais besoin de moi pour ça ? », interrogea Eolyn. Le simple fait de poser la question lui suggéra une partie de la réponse : il y avait magouille. Logan grimaça et sourit à moitié.

« Eh… ça peut être pratique d’avoir quelqu’un qui aide à… disons, diriger les choses. »

Edoyn fronça les sourcils.
« Orienter les paris, ou décider du résultat ? »

La malice dans le regard hilare de Logan le conforta dans son impression.
« Si tu tiens les deux rênes de l’attelage, tu es un homme riche, mon ami ! »

Edoyn n’était l’ami de personne, mais il se retint de le lui répliquer.
« Et ça impliquerait quoi, ici ? »

Logan hésita.
« Est-ce que tu penses que ton Ser Grey serait du genre à accepter la défaite pour s’assurer de repartir avec un petit magot, plutôt que de risquer de se retrouver sans rien ? »

Edoyn était stupéfait, mais il avait appris à ne jamais se montrer surpris. Il se contenta de ne rien dire, comme souvent. Son mutisme renfrogné fut interprété comme une réponse négative -ce qu’il était, de fait.

« Je sais qu’on n’a aucun espoir de ce côté-là avec Marlon », poursuivit Logan comme si de rien n’était. « Il est trop barré « honneur chevaleresque », et tout ça. »

« Et dans ce cas ? »

« Si on ne peut négocier de désistement avec personne, c’est plus risqué, mais on se débrouille. La cote de Lockhart est meilleure que celle de Grey. Alors on fait monter les enchères en faveur de Lockhart, et toi, tu places fidèlement la grosse mise sur ton héritier.
Ensuite… si l’équipement de Lockhart est défectueux ou si sa pouliche n’est pas en forme, après tout, ça arrive, non ? », conclut le Nordien avec un sourire carnassier.

2 commentaires sur “Chapitre 28 – Paris épiques

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    1. Je passe régulièrement sur Voyage Onirique 😉 mais c’est vrai que j’y laisse rarement la trace de mon appréciation sur les images qui me plaisent particulièrement… Je vais m’y efforcer à l’avenir ! Merci en tout cas du soutien Angelilie 🙂

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