Chapitre 31 – Chasse nocturne

Mickolas

Mickolas dormait toujours d’un sommeil léger, car c’était lui qui était en charge de la sécurité du groupe : toujours aux aguets, il se savait capable de se réveiller au moindre bruit. Il suffit d’ailleurs que la septa pose la main sur son bras pour le tirer du sommeil.

Il fut surpris de découvrir alors qu’Edoyn avait déjà quitté la chambre et que Ser Grey était en train de s’habiller, et il en conçut un peu d’embarras. Comment tous avaient-ils pu s’éveiller avant lui ?

Il ne perdit pas un instant de plus et sortit aussitôt du lit pour aller revêtir sa propre tenue. Si sa vigilance nocturne n’était peut-être plus ce qu’elle avait été, il conservait de son expérience militaire une discipline qui lui permettait de se préparer en un temps record. Laissant de côté sa maille et ses pièces d’armure pour n’enfiler que ses cuirs bouillis, il fut finalement prêt avant que Grey ait fini d’ajuster son costume.

Le maître d’armes avait immédiatement remarqué en se levant, qu’à la fenêtre la nuit était encore noire. Si toute la délégation Archelon s’était mise en branle en plein cœur de la nuit, c’est qu’il se passait quelque chose d’important. La septa lui expliqua ce qu’ils avaient trouvé. A peine tiré du sommeil, il avait du mal à en comprendre les tenants et les aboutissants, mais il percevait bien le poids de cette découverte néanmoins, et l’importance du fait que ce soient les Archelon qui l’aient faite.

Ils descendirent tous les trois l’escalier de la tour, et attendirent au pied de celle-ci que Lord Alleister les rejoigne. Celui-ci arriva plusieurs minutes plus tard, accompagné d’Edoyn et de quelques gardes. Tous pénétrèrent à nouveau dans la tour, et Eleanne leur révéla l’entrée du fameux cabinet secret. Mickolas tira son épée par réflexe. Son geste fit également tirer leur lame aux trois gardes : Mickolas n’aurait su dire s’ils suivaient ainsi son exemple ou s’ils s’armaient parce qu’ils se méfiaient de lui.

Le maître d’armes avait plusieurs fois rencontré des partisans de la sage devise » ne tire ton arme que si tu dois t’en servir ».
Lui, trouvait davantage de sens à la maxime « il vaut mieux être prêt, et que ce ne soit pas nécessaire, plutôt qu’il soit nécessaire d’être prêt et de ne pas l’être ».

Quatre épées tirées dans l’étroit escalier en colimaçon où s’entassait leur petit groupe, lui parurent néanmoins représenter soudain plus un danger qu’une protection.

Eleanne fit pivoter le panneau de pierre pour révéler l’intérieur du cabinet secret aux nouveaux venus. Tout, dans la salle obscure, était inerte. Aucun ennemi embusqué n’en jaillit par surprise.
Les dangers qui s’y terraient ne s’affrontaient pas avec une lame, aussi affutée soit-elle.

L’un des gardes fit mine d’entrer en premier, pour sécuriser le lieu, mais Lord Alleister l’arrêta d’un geste et s’engouffra lui-même dans la pièce oblongue, de son pas décidé, martial. Deux de ses hommes le suivirent, puis ce fut le tour de Grey. Le seigneur s’accroupit à côté du cadavre et l’examina, des yeux seuls. Il avait enfilé des gants de cuir noir par précaution, mais s’abstint néanmoins de toucher quoi que ce soit. Il se redressa ensuite et inspecta la pièce, désormais éclairée par les torches de ses gardes. Son regard s’arrêta, comme celui de Mickolas, sur le matériel de distillation qui occupait l’essentiel de l’établi. Il y avait des herbes coupées éparpillées autour, de la poudre ocre, une eau saumâtre dans un large récipient.

« Si c’est une mise en scène, elle est réussie », conclut-il en définitive. « On dirait que notre bon mestre a été interrompu en plein ouvrage. Il est probablement mort du petit plat qu’il a lui-même concocté. » Il tourna son regard vers la porte, et interpela Eleanne.
« Septa, vous qui connaissez les simples, savez-vous ce dont il s’agit là ? Est-ce que c’est ce qui a empoisonné mon père ? Est-ce que c’est vraiment ce qui l’a empoisonné, lui ? »

Eleanne s’avança pour ne pas avoir à élever la voix, mais son corps exprima son ignorance aussi bien que ses mots.
« Je n’en ai pas la moindre idée mon seigneur. Je ne connais ni l’herbe, ni la poudre ; tout ce que je crois pouvoir en dire est que la poudre est le résidu de l’herbe après qu’elle ait été traitée. Pour la rendre plus toxique, ou pour altérer la façon dont on inocule son poison, j’imagine. »

« Avez-vous vu les herbes qu’on a retrouvées sur le mestre Narses ? », l’interrogea-t-il avec un regard par en-dessous.

La septa fit signe que non.

« Ça n’est pas la même plante. » Le seigneur se remit en marche, pour quitter la pièce cette fois. « Mestre Narses a juré n’avoir pas apporté ces herbes à Château-Brillant, et j’ai décidément de plus en plus envie de le croire. Et s’il dit la vérité, c’est que quelqu’un les a mises dans ses affaires pour le faire accuser, comme il le clame depuis le début. Quelqu’un qui ne savait pas ce qui avait empoisonné mon père, et qui s’est dit que ça suffirait à rendre Narses suffisamment suspect pour le faire arrêter. Ce que j’ai été contraint de faire, évidemment. »

Il se tourna vers ses hommes.
« Allez libérer le mestre », ordonna-t-il. « Je vais aller informer Lady Theodora, j’ai vu de la lumière à sa fenêtre. »

Mickolas s’étonna qu’il n’aille pas plutôt prévenir Lord Demetrios, qui était désormais le chef de sa famille.

Le seigneur marqua une pause dans les escaliers.
« Ser Grey, je vous remercie une fois encore pour votre implication et votre perspicacité. La vôtre et celle de vos gens », ajouta-t-il avec un signe de tête à destination d’Edoyn, Eleanne, et même de Mickolas, qui se sentait pour l’instant parfaitement inutile. « Vous pouvez retourner vous coucher, nous discuterons de tout cela au matin. »

Grey parut sur le point de répondre, mais Lord Alleister avait déjà tourné les talons, et il s’abstint. Eleanne et Mickolas saluèrent le départ du châtelain d’une inclinaison de la tête. Edoyn commença à remonter l’escalier vers leur chambre, et tous deux s’apprêtèrent à le suivre, quand Grey les interrompit d’un geste pressant, sourcils froncés.
« Pas si vite, restez là. Je ne crois pas un instant que Theodora va accepter de se coucher sur cette seule nouvelle. Elle va vouloir du sang. Elle va vouloir savoir qui a mis ce poison dans la besace de Narses, et elle va vouloir que ça se fasse maintenant. Je suis prêt à parier que l’action ne fait que commencer, ce soir. Restez avec moi, je veux vous avoir sous la main si quoi que ce soit se produit. »

Mickolas haussa un sourcil dépréciateur en entendant cette tournure de phrase. Depuis leur départ de Carapace, le fils de son seigneur avait su se comporter avec les autres invités comme s’il avait été toute sa vie au milieu d’une telle cour de nobles étrangers ; à l’inverse, il avait tendance à se montrer bien plus désagréablement autoritaire lorsqu’il n’était entouré que des gens de sa maison, révélant un trait de sa personnalité qui n’en ferait pas un meneur très apprécié s’il devait prendre la tête d’une troupe, ou d’une maison.

Or, Mickolas considérait qu’il n’avait pas pour seule tâche d’apprendre aux fils de Lord Hayden à manier l’arc, l’épée et la lance, mais qu’il était aussi de sa responsabilité de faire d’eux des hommes capables de mener par l’exemple, comme il s’évertuait à le faire lui-même.

Il lui fallait néanmoins reconnaître au jeune homme une acuité psychologique remarquable : moins d’une dizaine de minutes après que Lord Alleister les ait quittés en effet, les mêmes trois gardes qui avaient accompagné leur seigneur jusque chez Lady Theodora traversèrent la cour du château pour rejoindre le village de tentes qui en bordait l’enceinte. L’un d’eux tenait une lanterne suspendue au bout d’une longue canne, qui éclairait leurs visages déterminés.

« Ils vont chercher les Fingal », commenta Grey. « Logan Snow va devoir s’épancher un peu plus sur ce qu’il dit avoir vu, et ce que Lord Alleister pense maintenant qu’il a plutôt fait… Si on croit Mestre Narses lorsqu’il nie avoir apporté le poison qu’on a trouvé sur lui, la première personne qui a dénoncé cette possession est forcément la première suspectée de l’avoir glissé dans ses affaires. La coïncidence de la présence de Snow dans le cagibi donnant sur la chambre de Lord Elias juste au moment où le mestre aurait exhibé ses herbes paraît tellement invraisemblable… »

« Mais n’est-ce pas ce que le duel entre Lord Elias et Ser Lyn Corbray était supposé trancher ? », interrogea Septa Eleanne. « Si Ser Lyn l’a emporté, c’est que les Sept donnaient raison à ceux qui défendaient le témoignage de Logan Snow. »

Grey lui répondit avec un demi-sourire :
« Ce duel a servi à trancher pas mal de choses, en vérité… mais les faits sont les faits : Ser Lyn a beau avoir triomphé et Elias péri, si le poison n’est pas celui de Narses, c’est que quelqu’un l’a placé dans sa besace. Et on parle alors d’une machination, et dans ce cas, le bâtard en est presque certainement au moins le complice. »

Mickolas vit Eleanne acquiescer, avec réticence. Elle et Grey semblaient parfaitement maîtriser les enjeux de tous ces événements. Mais si la lueur dans les yeux du jeune homme révélait son appétit pour ce qui allait suivre, le regard de la septa était, lui, empreint d’inquiétude.

Tous quatre devaient, quoi qu’il en soit, se contenter d’attendre pour l’heure, car il ne leur appartenait pas de s’immiscer dans les affaires qui concernaient désormais les Wight, les Palamede, et les Fingal.

Edoyn leva subitement une main pour attirer leur attention à tous. L’index de son autre main était pointé vers son oreille. Mickolas crut distinguer un son familier dans le lointain, mais il dut achever de descendre l’escalier et se tenir à l’extérieur pour parfaitement l’identifier : c’était le martèlement sourd de sabots de chevaux au galop. Qui s’éloignaient.

« Snow s’enfuit ! », s’écria-t-il en se retournant vers Edoyn, qui lui répondit d’un signe d’assentiment muet. Le visage de Grey exprimait, lui, sa totale surprise. Le maître d’armes reprit alors spontanément l’initiative. « Edoyn, deux chevaux, nous allons l’arrêter ! Ser Grey, allez chercher nos arcs et apportez-les-nous à l’écurie. Septa, donnez l’alerte : qu’on envoie les chiens ! »

Et comme s’ils s’étaient trouvés au cœur d’une bataille, Mickolas s’élança vers les écuries, son énergie décuplée par l’adrénaline qui coulait subitement dans ses veines. Tout en courant, il vérifia instinctivement que son épée se trouvait toujours à son côté, et se félicita de n’avoir pas revêtu son armure métallique, qui n’aurait fait que le ralentir. Il espérait qu’ils n’auraient pas à se battre, mais s’y sentait prêt, sans la moindre hésitation. Edoyn et lui apprêtèrent leurs montures avec l’efficacité d’hommes parfaitement entraînés, et se hissèrent sur leur dos presque en même temps qu’ils les mettaient en mouvement. Le fuyard avait de l’avance, mais il allait avoir fort à faire avec deux poursuivants comme Edoyn et lui, se réjouit Mickolas.

Il s’empara de la lanterne qui éclairait l’écurie, et de l’arc et du carquois que leur tendait Grey, redescendu de leur chambre. Définitivement parés, les deux cavaliers se lancèrent à pleine vitesse, et abandonnèrent les lieux à l’obscurité.

Ils passèrent devant les chapiteaux à l’extérieur du fort, et Mickolas vit du coin de l’œil des corps étendus devant celui des Fingal.

« Là ! », lui signifia Edoyn en pointant la direction dans laquelle le fugitif avait répandu le chaos en démarrant sa fuite dans le noir. « S’il a peur, il ira tout droit », jugea-t-il. « S’il est malin, il nous jouera des tours. »

La piste les conduisait droit vers la forêt. Mickolas évalua une orientation au nord.

« Je suis jamais allé dans cette partie du domaine », indiqua Edoyn. « Attention aux surprises ». Et pour accompagner son avertissement, il tira sur les rênes de sa monture pour la faire décélérer. « Pour commencer, sache qu’y sont deux », ajouta-t-il en pointant le chaos d’empreintes de sabots à leurs pieds.

« Deux ? » s’étonna Mickolas. Voilà qui rendait l’hypothèse d’un combat plus délicate, même si Mickolas savait qu’il avait avec Edoyn un partenaire plus que capable en cas d’engagement. Il ajusta la vitesse de son destrier sur celle du cheval d’Edoyn. Ce n’est qu’alors qu’il remarqua que le chasseur était monté sur l’un des chevaux des sables dorniens des Hawk.

« Ils maintiennent un rythme rapide, et ils continuent en ligne droite. Y se donnent pas la peine d’essayer de nous perdre », observa Edoyn après plusieurs minutes de poursuite. « Je crois pas qu’y se contentent de fuir : y s’dirigent vers quelque chose. Et ils essayent d’y arriver l’plus vite possible. »

Des renforts ? Une arme secrète ? Des preuves à faire disparaître ? Vers quoi les deux Nordiens se dirigeaient-ils aussi décidément ? Mickolas ferma les yeux lorsqu’il comprit, quelques instants à peine avant que la réponse ne se révèle à eux dans toute sa vastitude, à la sortie du sous-bois.

La mer.

Les deux pisteurs traversèrent une longue étendue herbeuse avant de stopper leur monture sur la grève, au bord de l’eau. Mickolas accrocha sa lanterne à sa selle et démonta : la source de lumière l’empêchait de voir au loin.

Il entendait un bruit de rames par-dessus la rumeur des vagues. Scrutant la surface de l’eau, il distingua d’abord un navire qui mouillait au loin dans la baie, et dont le pavillon arborait l’étrange figure encapuchonnée de la maison Fingal : c’était la destination des fuyards. A mi-chemin, un canot emportait deux silhouettes assises vers ce refuge.

Mickolas ne perdit pas un instant : il tira sur la couverture placée sous la selle de son cheval, et la passant au fil de sa lame, il en découpa une bande grossière. Il s’empara de la lanterne, renversa de l’huile sur le tissu, et y mit le feu. Enfin, il enturbanna une de ses flèches avec la toile enflammée et l’encocha aussitôt à la corde de son arc.

Pendant ces préparatifs, Edoyn avait déjà plongé dans les flots : il distingua le chasseur entre les vagues grâce aux éclaboussures de sa nage rapide.

Mickolas concentra à nouveau son attention sur la barque qui s’éloignait. Il interrompit sa respiration, ne visa qu’un instant, puis effectua un tir en cloche au jugé, et la flèche s’éleva dans les airs. Un observateur extérieur aurait pu saluer la qualité de son tir : en dépit des conditions, sa flèche allait toucher l’eau à quelques mètres à peine de l’embarcation.

Mickolas ne l’attribua qu’à la chance. Et cette flèche n’avait de toute façon pas vocation à atteindre sa cible. Dans l’obscurité, la notion de distance est abolie par l’absence totale de repères : des points de lumière à l’horizon peuvent aussi bien être des étoiles que des feux éloignés. Pendant le court instant où sa flèche enflammée illumina les alentours de la barque, l’éclairage qu’elle fournit lui rendit une perception suffisamment nette de l’espace pour lui permettre de viser cette fois avec toute la précision dont il était capable.

Mickolas avait déjà encoché une deuxième flèche à son arc : le trait fusa dans le noir à l’instant où la première flèche atteignit la surface de l’eau et où mourut sa précieuse lumière, éteignant subitement la scène.

Un son étouffé familier au maître d’armes suivit instantanément la chute du voile d’obscurité. Laissant ses bras redescendre calmement le long de son corps, il s’autorisa à nouveau à respirer : au loin, le bruit des rames s’était interrompu.

Pendant un temps, il ne distingua pas de mouvement sur le canot immobilisé, mais il lui sembla entendre des éclats de voix par-dessus le fracas du ressac. Le silence lui parut durer une éternité, mais il ne dura en réalité probablement pas plus d’une minute. Puis l’embarcation fut vivement secouée et les cris cessèrent aussitôt : c’était Edoyn qui avait rejoint ses proies et qui avait déséquilibré l’esquif en grimpant à bord.

Mickolas n’avait plus à présent que la lumière de la lune pour l’aider à suivre ce qui se passait là-bas : l’une des figures était restée avachie, et il supposa que c’était celui des deux fuyards qu’il avait atteint avec sa flèche. Le dernier fugitif et Edoyn avaient tiré les armes. Il lui était facile de reconnaître la silhouette d’Edoyn à sa posture, voûtée comme celle d’un animal arrondissant son dos pour le combat. L’autre tenait non pas une, mais deux armes, une dans chaque main. Voilà qui était inattendu et qui dénotait un combattant ambidextre, et donc certainement aguerri.

L’affrontement commença, par un assaut qui provoqua le tangage du bateau : les deux escrimeurs allaient devoir composer avec cet ennemi commun. Il y eut de nouvelles passes d’armes, au tempo rendu chaque fois chaotique par le déséquilibre des protagonistes, jusqu’à ce que l’un des deux, abandonnant le combat traditionnel, se jette simplement sur l’autre pour l’affronter au corps à corps.

Les deux adversaires n’étaient plus qu’une unique masse informe, et Mickolas en était réduit à invoquer le Guerrier pour que son champion sorte vainqueur de cette mêlée sauvage. Le maître d’armes avait rarement enseigné -et appris lui-même- à combattre à mains nues. Il lui semblait qu’il y était moins question de technique que d’instinct, l’homme retournant à sa nature primitive en retrouvant ses armes naturelles.

De ce point de vue, Edoyn bénéficiait probablement d’un avantage sur son adversaire, du fait qu’il avait grandi au sein d’un clan de barbares, dans les montagnes du Val : cette rude éducation l’avait débarrassé de bien des conditionnements qu’imposait la vie civilisée. Mickolas savait que le chasseur combattrait sans réserve et sans complexe, avec ses poings, ses pieds, sa tête, mais aussi ses ongles, ses dents, ce qui pouvait changer beaucoup de choses contre un adversaire moins préparé à laisser libre cours à sa sauvagerie.

La lutte dura longtemps, plusieurs minutes, puis l’un des deux se releva, et l’autre pas. La silhouette du vainqueur recula, et s’avachit sur le banc à l’autre extrémité de la barque. Sur la mer, tout était à nouveau immobile et silencieux, hormis les vagues. Le temps s’étira indéfiniment, et Mickolas se surprit à sentir une certaine nervosité le gagner : il ôta ses bottes, se débarrassa de sa veste de cuir, et s’avança dans les flots. Il rejoignit en quelques minutes le canot, qui avait commencé à dériver, et s’approcha avec prudence.

A la proue, il vit avec soulagement qu’Edoyn était celui des deux lutteurs qui s’était relevé de l’étreinte. Il était avachi sur le banc avant, les yeux ouverts et le visage couvert de sang. Il respirait lourdement, une main sur le flanc gauche. A l’autre extrémité du canot, c’était Ser Wallace Fingal qui grimaçait et sanglotait à la fois, la flèche tirée par Mickolas fichée dans le dos. La pointe de la flèche ressortait de l’autre côté de son buste, sous ses côtes, l’immobilisant de douleur et rendant sa respiration courte et râpeuse. Mickolas posa précautionneusement les mains sur les côtés de l’embarcation pour se hisser à moitié hors de l’eau, et inspecter le fonds de la barque. Il y découvrit le corps inanimé de Logan Snow, étendu aux pieds de son frère, la face écrabouillée comme s’il avait subi la charge d’un troupeau sauvage.

« Ses armes sont à moi », grogna Edoyn depuis son banc, en désignant d’une main les deux épées qui gisaient à côté du corps. L’hostilité de son ton surprit Mickolas et fit remonter en lui une sensation sourde, cette terreur primitive qu’avaient ressenti les premiers hommes confrontés aux premiers prédateurs, plus sauvages qu’eux, à l’aube des temps. Au travers du rideau sombre des cheveux hirsutes qui lui tombaient devant les yeux, Mickolas vit que le regard du chasseur brillait d’une détermination fiévreuse.

Il se laissa retomber dans l’eau, fit patiemment pivoter le canot et se coula le long de l’embarcation pour se placer à son extrémité arrière. Les mains et l’épaule fermement positionnées contre la poupe, il se mit à battre des jambes pour la propulser en direction de la plage.

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